Asma Mhalla vient de publier « Technopolitique, comment la technologie fait de nous des soldats » (Ed. du Seuil). La brillante essayiste livre une analyse importante sur l’impact du numérique sur la démocratie et les enjeux de pouvoir à l’échelle mondiale. A rebours de l’image libertarienne souvent associée aux géants de la tech, Asma Mhalla souligne au contraire une convergence entre les États et les « Big Tech ». De la Big Tech au Big State, les liens apparaissent. Dans ce contexte, les citoyens sont ainsi propulsés dans une vaste guerre numérique, effaçant la frontière entre civil et militaire. Le livre d’Asma Mhalla est tout à fait essentiel dans le débat sur l’univers numérique. A lire sans attendre.
De la Big Tech au Big State
Asma Mhalla souligne le caractère singulier des Big Tech. Ce sont des entités hybrides, à la fois entreprises privées et acteurs politiques. Elles ont des agendas politiques et géopolitiques. Cette réalité contraste avec un passé où les États exerçaient le seul contrôle prépondérant. Aujourd’hui, les grands acteurs numériques développent une conception de l’Etat, de la démocratie, des institutions. Ils ont une vision idéologique et un projet pour le monde.
Il y a cependant un continuum entre Big Tech et Big State. Les Etats aspirent à l’hyper-contrôle par les data. Et la tech est un outil formidable. Etats-Unis, Chine, Russie, Inde…sont dans cette logique à la fois interne et dans la projection sur l’extérieur. A la fois concurrents et alliés, Big Tech et Big State sont le couple passionnel du numérique.
Le tournant des récents conflits
L’évolution des conflits mondiaux, comme la guerre en Ukraine et l’intervention israélienne à Gaza, mettent en lumière la data-ification des champs de bataille. Les technologies de l’IA et les drones deviennent des acteurs essentiels et transforment les conflits. Guerres classiques à l’ancienne (les tranchées ukrainiennes ou les chars Merkava) mais néanmoins surtechnologisées avec une mise en données massive, alimentée par des algorithmes et des IA génératives. C’est l’exemple du logiciel Habsora pour « rationaliser » les bombardements israéliens.
Réarmer les citoyens
Les technologies sont des armes à disposition de tous. Et tous deviennent des cibles. Asma Mhallla propose de « réarmer » les citoyens, les incitant à devenir des « citoyens-soldats », au sens athénien du terme. Il s’agit de contrer la polarisation du débat public et la manipulation informationnelle. Elle souligne l’urgence d’une « hygiène informationnelle » pour désamorcer les biais cognitifs et promouvoir la réflexion individuelle. Comment dire « le vrai » quand une IA peut créer un univers « de faux » parfaitement crédible.
La bidouille normative
Dans ce monde qui s’installe, nos schémas du XXè siècle sont dépassés. L’Europe s’adapte et fait de la régulation, ce qu’elle sait très bien faire. Mais c’est simplement un ajustement. Ce n’est pas une vision globale des enjeux technologiques. Thierry Breton fait des moulinets mais l’Europe pèse peu.
Ralentir le numérique ?
Asma Mhalla conteste ce qu’elle appelle le « pessimisme réactionnaire » de certains penseurs technocritiques. On ne peut pas dé-technologiser ou dés-innover. Elle met en avant la nécessité de repenser la gouvernance des géants technologiques et de redéfinir leur statut juridique. La question à se poser est bien « que sont devenus les géants de la Tech et comment les gouverner ? «
