Lorsque les premiers smartphones sont devenus populaires, les réfractaires de cette nouvelle technologie se plaisaient à dire “un téléphone, c’est pour téléphoner”. Si ce propos est aujourd’hui encore essentiellement vrai, il faut grandement le relativiser : les jeunes utilisent de moins en moins leur téléphone pour passer des appels.
Le mot téléphone vient du grec télé (loin) et de phoné (voix), une étymologie qui ne laisse guère de mystère sur l’utilisation de l’appareil : faire entendre sa voix sur de longues distances. Pari réussi avec le téléphone, filaire tout d’abord puis sans-fil par la suite, ouvrant la voix à ce que l’on connaît aujourd’hui. Oui, la suite n’est qu’une “simple” évolution technologique : le téléphone est devenu d’abord plus petit, puis plus intelligent et donc plus gros, puis sa taille a augmenté à tel point qu’il faut le rendre pliable.
Communication : de la tablette en argile au smartphone
Les téléphones ont beaucoup changé au fil du temps, mais bien d’autres choses ont évolué avec eux. L’avènement du SMS dans les années 90 et surtout début 2000 a lentement mais sûrement remplacé par la messagerie instantanée, avait ouvert la voie à un nouveau système de communication. Si s’envoyer des messages écrits n’a rien de nouveau (les anciens égyptiens et les hittites s’envoyaient déjà des tablettes d’argile comme lettre), l’instantanéité de la communication ainsi que la possible utilisation d’emojis et de gif, et surtout l’utilisation du langage SMS (terme qui s’étend bien au-delà des SMS) a créé une importante révolution dans notre manière de communiquer chez les jeunes.
Cet intérêt pour la communication écrite n’a cessé de croître, accéléré par les réseaux sociaux qui poussent les utilisateurs à lire et écrire de plus en plus sur leur téléphone. La fonctionnalité de message vocal, aussi populaire qu’elle soit, mais n’a pas ralenti l’essor de la messagerie instantanée. En revanche, elle a probablement préparé le terrain pour le regain de popularité des podcasts. Beaucoup de jeunes apprécient en effet les longs messages vocaux, les comparant à des podcasts.
La communication écrite permet un certain contrôle. Vous pouvez prendre votre temps pour réfléchir à la réponse que vous devez donner, ou même répondre plus tard si vous le désirez. Vous pouvez même supprimer vos messages si besoin. Dans une communication téléphonique, vous pouvez théoriquement prendre votre temps pour répondre et couper la communication quand vous le désirez, mais des normes sociales limitent beaucoup votre champ d’action. Pourquoi se retrouver dans une situation où il est difficile de raccrocher si vous pouvez tout simplement éviter l’appel ? Voilà la réflexion de bon nombre de jeunes.
Le harcèlement légal, coupable désigné ?
Les jeunes tendent donc à préférer la communication écrite et évitent les communications téléphoniques non planifiées à l’avance (telles qu’un entretien avec un recruteur, par exemple). Mais est-ce donc vraiment l’unique raison qui explique pourquoi de plus en plus de professionnels optent pour une communication par email ou par chat ? Certes, une partie de la génération Z fait déjà partie de la population active donc leur conception des choses est déjà partiellement mise en place, mais il existe une réponse plus simple à la question : ce phénomène ne touche pas uniquement les jeunes.
Il est de notoriété publique qu’énormément d’entreprises cherchent à obtenir le plus d’informations possible sur vous. Si certaines envahissent votre vie privée avec des trackers pour déterminer ce qui vous intéresse et afficher des publicités en conséquent, d’autres ont une approche beaucoup plus drastique et utilisent votre numéro pour vous appeler et tenter tant bien que mal de vous vendre quelque chose. Ce n’est pas nouveau, bien sûr, mais la pratique s’est extrêmement popularisée, à tel point que ces appels surviennent parfois plusieurs fois par jour.
Que votre numéro ait été hacké dans la base de données d’un service que vous utilisez ou qu’il ait été transmis à des démarcheurs à cause de petites lignes dans un contrat que vous avez signé, les choses peuvent vite devenir un enfer tant les appels sont incessants. Certains sites se sont d’ailleurs spécialisés sur le sujet : dans le doute vous ne répondez pas au numéro, vous vérifiez ensuite à qui appartient ce numéro et s’il a été répertorié comme spam. Les personnes âgées sont les plus visées par ces personnes mal intentionnées car elles sont plus faciles à convaincre et donc à voler en toute légalité.
Ce harcèlement a créé une véritable haine des appels. Peur par ailleurs accentuée par le fait que bon nombre de personnes préfèrent chatter que téléphoner. Ce phénomène est visible dans plusieurs études. Les chiffres de la Commonwealth Bank montrent que 49% des sondés appartement à la génération Z sont anxieux à l’idée de téléphoner.
De la téléphonie à la psychologie
Plusieurs études ont été faites sur le sujet et proposent différentes explications. La majorité sont à prendre avec des pincettes mais reflètent malgré tout des idées intéressantes. Dr Saliha Afridi, psychologue clinicien qui se spécialise en “téléphobie” (phobie des téléphones), explique dans un article de Gulf News qu’“il est difficile de dire pourquoi la génération Z et les millénials ont autant de difficultés pour parler au téléphone, mais une des raisons possibles pourrait bien être le fait qu’ils soient nés à l’époque des réseaux sociaux, une époque où ils peuvent contrôler avec précision leur apparence et la manière dont ils sont perçus par les autres. Les conversations instantanées laissent une part plus importante aux erreurs et aux défauts”.
Conclusion
Le problème est sérieux. Il s’étend au-delà de la sphère sociologique et attire l’attention des psychologues. Refuser de téléphoner est une chose, voir arriver une phobie de masse en est une autre. Bien entendu, il s’agit ici d’une généralisation : ce phénomène est loin de toucher tous les jeunes millénials et Gen Z, mais il peut potentiellement traduire quelque chose de grave. Attention de ne pas tomber dans l’interprétation rapide comme on le voit parfois, le stéréotype le plus fréquent étant “les millénials et la génération Z sont antisociaux”. Évitons la psychologie de bas étage et laissons-la aux professionnels, lire des statistiques est une chose, les interpréter en est une autre.