Le débat d’idées sur la notion de progrès est ancien et se renouvelle dès qu’une avancée technologique pointe son nez. Le numérique est une source inépuisable d’illustrations de ce vieux conflit des anciens et des modernes. Et le plus souvent, une polémique chasse l’autre. On a déjà oublié les proclamations enflammées de la période « a-t-on besoin de la 5 G ? » alors qu’il n’y a pas si longtemps cela semblait une interrogation de fond pour quelques polémistes patentés. Ce type de débat met en lumière le traditionnel besoin du recours au « c’était mieux avant » ou « un tien vaut mieux que deux tu l’auras ». Le numérique est disruptif et génère immanquablement la tentation de la marche arrière. Deux exemples de l’actualité récente illustrent ce vieux réflexe réactionnaire. Mais en un tweet, Yann Le Cun a résumé l’état du débat.
France Identité avance et la SNCF recule
Quelques jours après l’annonce du déploiement généralisé de l’application France Identité et l’ajout du permis de conduire dématérialisé, la SNCF s’est illustré en allant à contre-courant. Sur Twitter, un usager de la SNCF a posé la question de l’acceptation par les contrôleurs SNCF d’une pièce d’identité dématérialisée et notamment via France Identité. Toujours à la pointe du progrès le compte twitter TGV Inoui répond… « non, non, il faut une pièce physique ».
Dès lors le compte de France Identité s’en mêle et fait à la SNCF un rappel à la loi. Mais la SNCF n’en démord pas et insiste « les conditions actuelles prévalent et toute évolution nécessite une adaptation de nos procédures ». Si l’on traduit en français la SNCF répond à l’Etat « c’est nous qui déciderons du moment des conditions d’applications de la loi ». La SNCF a supprimé ses tweets mais sans changer de position. On avancera peut-être, mais plus tard… Même au mépris de la loi.
Les grandes peurs de l’IA
Depuis l’arrivée de ChatGPT et de ses petits frères et soeurs, il ne se passe plus une journée sans un appel au moratoire, sans réflexions de toutes sortes sur les risques, les dangers et… la possibilité de fin de la civilisation humaine. Tout y passe et la peur de l’avenir tient de lieu de viatique pour les débats. Evidemment le sujet mérite un peu d’intérêt et les conditions de mise en oeuvre doivent être encadrées. Mais s’en tenir aux grandes peurs reste intellectuellement indigent. Envisager une problématique sous le seul angle de la crainte est souvent désespérant. Et le meilleur moyen de ne pas faire face aux difficultés quand elles se présentent.
Yann Le Cun résume…
Dans ce contexte, Yann Le Cun a résumé la situation. Le chercheur français, prix Turing, directeur d’un laboratoire de Meta sur l’IA donne son point de vue en quelques lignes.
- Ingénieur : J’ai inventé cette nouvelle chose. J’appelle ça un stylo à bille 🖊️
- TwitterSphere : OMG, les gens pourraient écrire des choses horribles avec, comme la désinformation, la propagande, les discours de haine. Interdisez-le maintenant !
- Writing Doomers : imaginez si tout le monde peut avoir un stylo à bille. Cela pourrait détruire la société. Il devrait y avoir une loi interdisant l’utilisation d’un stylo à bille pour écrire un discours de haine. réglez les stylos à bille maintenant !
- Magnat de l’industrie du crayon : oui, les stylos à bille sont très dangereux. Contrairement à l’écriture au crayon qui est effaçable, l’écriture au stylo-bille reste éternelle. Le gouvernement devrait exiger une licence pour les fabricants de stylos.
Epilogue
Les débats continueront. On parlera des technophiles béats, des illusions de ceux qui sont qualifiés de croyants dans le « solutionnisme technologique ». La tentation de la marche arrière en matière de numérique est permanente. Il est bien évident que la technologie ne sauvera pas le monde. Mais le monde ne sera pas sauvé sans la technologie…